Les Archives de Joe

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Celluloïds - Les Harmony Cels

Celluloïds - Les Harmony Cels

21 décembre 2017 14:55 - Lu 4138 fois

Ce petit dossier a pour but de présenter une caractéristique particulière que l’on retrouve dans un certain nombre d’œuvres animées : les Harmony Cels. Ces arrêts sur image avec un style crayonné ont été principalement initiés par le duo magique Osamu Dezaki / Akio Sugino, et ont finalement été utilisés de façon récurrente dans toutes leurs œuvres au point d’en devenir l’une de leurs marques de fabrique. Cependant de nombreuses autres œuvres animées en ont aussi utilisé ici ou là de temps en temps. Ce n’est pas si rare que ça, mais il faut reconnaître qu’en dehors des œuvres de Dezaki/Sugino, les Harmony Cels ne courent pas les rues…


Harmony Cel - Cobra et Tarbeige, l'homme-plante
Cobra et Tarbeige, l'homme-plante
Harmony Cel - Lady Oscar
Lady Oscar



A l’origine…

C’est donc Osamu Dezaki qui a, semble-t-il, utilisé en premier cette technique de l’Harmony Shot, de son nom original, que l’on appelle aussi Harmony Cel (que l'on trouvera noté parfois ハーモニー sur les layouts ou dougas). Le principe, tout simple, consiste en la présentation en fin d’une scène d’une image figée, ou plus rarement d’une succession d’images figées, dans un style un peu "peinture impressionniste". Cela donne en général un effet appuyé, figeant une scène dans le temps pendant quelques secondes, renforçant ainsi une situation clé, un moment fort, sentimental, dramatique... Ils peuvent aussi être employés en tant que "cliffhanger" en fin d'épisodes, pour faire durer le suspens. Mais si cela a un effet évident dans la mise en scène, Osamu Dezaki reconnaît tout de même qu’à la base, c’était aussi pour économiser des cellulos (et du temps d'animation). Il faut se rappeler que les équipes d'animation devaient en général fournir 1 épisode par semaine, sans discontinuer, et que le temps leur était précieux.

Osamu Dezaki explique ainsi l'emploi de ces arrêts sur image : "Je ne sais pas pourquoi j'ai eu envie d'utiliser ces dessins crayonnés. Peut-être que cela vient de mon expérience dans le manga. Dans les films en prise de vue réelle, on voit aussi parfois des arrêts sur images. D'un point de vue pragmatique, animer est un travail très difficile, et une image fixe permet d'économiser des dessins. Et puis, un dessin arrêté, ça donne aussi le sentiment d'une photo chargée de souvenirs. Comme une photo de famille ou un souvenir de voyage, bref, une image qui reste dans la mémoire. C'est comme si je glissais quelques photos dans mon histoire. Ca fait ressortir l'instant. En fait, cette technique me permet de retrouver la beauté de l'instant." (extrait de l'interview présente dans le coffret DVD Joe 2 - 2nd volume - d'IDP)


Harmony Cel - Rémi
Rémi
Harmony Cel - City Hunter
City Hunter


Concrètement, à quoi cela ressemble… ?

Un Harmony Cel est, de part sa présentation, un type particulier de celluloïd. A ce titre, je vous invite à parcourir le Wikicels, et au moins les définitions de base, afin de vous familiariser avec tout cet univers, base incontournable de l’animation jusqu’aux années 2000 (et l’arrivée de l’animation par ordinateurs qui remplace désormais le cellulo classique). Pour résumer rapidement, les cellulos classiques sont les images unitaires (plusieurs cellulos pouvant servir pour une même image), qui mises bout à bout forment donc petit à petit l’animation proprement dite des personnages, par dessus des décors (fixes, ou avec éventuel scrolling). En temps normal, on a donc ce qui est animé (les personnages et éventuels objets) sur le cellulo, et le décor de fond peint à part sur une feuille légèrement cartonnée de type Canson.

En revanche, les Harmony Cels sont réalisés différemment et ont parfois des variantes de conception... Le cas le plus standard suit tout de même un schéma assez simple au final : étant donné que l’on a une image fixe, le décor de fond ET le(s) personnage(s) sont tous peints ensemble sur la même feuille, à un détail près : cette composition apparaît non pas avec des traits noirs de contour, mais avec des traits "gris clairs" (couleur dite "inactinique" qui n'apparaît donc pas lors de la photographie, au cas où il y aurait un léger décalage avec le cellulo). On a donc une sorte d'image "fantôme" sur laquelle vient se superposer les traits noirs du cellulo. Ces traits noirs se trouvent par contre seuls sur la feuille cellulo, avec également les éventuels tramages, mais sans aucune peinture de "remplissage" des contours (puisque les couleurs d'un harmony sont majoritairement travaillées sur le décor de fond). Et c’est donc la superposition de ce cellulo sur le décor précédemment décrit qui forme l’image définitive (un rough, ou dessin ébauché).

Techniquement, comme pour les cellulos classiques, un dessin de base (un dôga) est crée sur une feuille blanche au propre (d'après un layout), et c’est une machine, la flasheuse, qui va reproduire tous les traits sur la feuille celluloïd, à la manière d'une photocopieuse. A noter que dans quelques cas, on peut avoir 2 niveaux de traits noirs, sur 2 cellulos différents, si l’on veut renforcer plus encore leur accentuation et le rendu final. Ci-dessous, vous pouvez voir un exemple complet issu de Black Jack (OAV 6) :


Harmony Cel de Black Jack - dôga
Le dôga
Harmony Cel de Black Jack - cellulo
Le cellulo seul
Harmony Cel de Black Jack - Background
Le background seul
Harmony Cel de Black Jack - pièce complète
La pièce finale



Mais, comme indiqué précédemment, il existe des variantes dans la réalisation d'un Harmony, où l'on peut avoir les personnages peints tout de même sur le cellulo. C'est plus rare, tout du moins il me semble, mais il en existe des cas, à commencer par le Cobra/Tarbeige et le Rémi présentés plus haut... Le Rémi présente même une caractéristique supplémentaire : le cellulo est peint à la fois au verso ET au recto ! Les raisons peuvent pencher ceci dit pour une correction du dessin prévu à la base, plutôt que d'avoir à tout refaire...

Il peut arriver également que l'on ait un mélange des deux : certains personnages peints sur le décor et d'autres sur le celluloïd, au sein d'une même pièce. Enfin, il existe aussi des pièces où tout est bien peint à 100% sur la feuille Canson, sans le celluloïd avec les traits noirs par dessus. Cela reste des cas rares, mais il y en a quelques-uns sur Black Jack par exemple... A noter que d'autres petites spécificités peuvent apparaître sur certaines pièces, pour des effets isolés, rajoutés après coup. On constate au final que c'est surtout le résultat final qui prime, plus que l'emploi d'une technique à respecter à la lettre...

Ci-dessous, le Cobra (Cobra+Tarbeige), présentant donc le cellulo peint seul, en dehors du background :


Harmony Cel - Cobra et Tarbeige, l'homme-plante
Cobra et Tarbeige - pièce complète
Harmony Cel - Cobra et Tarbeige - cellulo seul
Cobra et Tarbeige - le cellulo seul


Le rendu à l’écran…

L’Harmony Cel correspond donc à la dernière image d’un plan, pour prendre le cas "standard", faisant suite à un cellulo classique, présentant exactement la même image, avec une sorte d’enchaînement en fondu (c’est au niveau de la photographie que tout le travail se passe pour le rendu final). C’est beaucoup plus rare, mais cela peut aussi être la première image d’un plan. A noter, comme précisé un peu avant, que plusieurs Harmony Cels peuvent se succéder. Cela peut être des images totalement différentes, ou au contraire, cela peut être un même personnage, animé « au ralenti » avec plusieurs Harmony Cels, donnant un effet encore plus marqué pour un plan final. Ci-dessous un exemple issu de Hakugei Densetsu (La légénde de Moby Dick), présentant un cellulo normal (un oversized cel, en réalité) et le Harmony cel qui le remplace dans un effet de fondu à l'écran :


Harmony Cel - Hakugei Densetsu
Cellulo N° A11
Harmony Cel - Hakugei Densetsu
Harmony cel N° A12 End


Différentes tailles d’Harmony Cels

Tout comme pour les cellulos, il existe des Harmony Cels de taille standard (pour des rendus vers des écrans 4/3 ou 16/9ème), mais on en trouve aussi des plus grands, pour des plans panoramiques ou autres effets de zoom. Le terme n’existe pas à ma connaissance, mais on pourrait parler d’Oversized Harmony Cel, ou de Pan Harmony Cel. Le paragraphe précédent présente un exemple issu d’Hakugei Densetsu qui est donc un Oversized Cel de 50x40 cm, suivi de son équivalent en Harmony Cel, le tout pour un effet figé dans le ciel, avec un zoom final. Ci-dessous, un exemple panoramique de 50cm de large issu de Black Jack (OAV 3) et deux exemples "hauts" d'une 40aine de cm chacun, issus de Très Cher Frère et Hakugei Densetsu à nouveau. A noter au passage, que la numérotation (en haut à gauche) des Harmony Cels suit exactement celle des cellulos classiques (voir la définition dans le Wikicel).


Harmony Cel - Black Jack - OAV 3
Black Jack (Michelle et Catina)
Harmony Cel - Onii Sama E...
Très Cher Frère...
Harmony Cel - Hakugei Densetsu
Hakugei Densetsu (Capitaine Ahab)



Harmony Cels et Ordinateurs...

Tout comme les celluloïds classiques, on pourrait penser que les Harmony Cels ont été rangés au placard avec le passage au tout numérique, vu que désormais toute la mise en couleurs se fait sur ordinateur. C'est bien entendu "vrai" pour ce qui est du support physique, mais "l'effet Harmony Cel" existe encore ici ou là. Certains titres récents en ont intégrés quelques-uns... y compris dans certaines productions "live" ! Je ne saurais par contre pas vous dire si c'est 100% numérique ou si un dessin physique (scanné) a été employé... C'est le cas par exemple des dernières productions concernant Cobra (Cobra the Animation) qui présentent à plusieurs reprises ces fameux arrêts sur image, si appréciés d'un grand nombre de passionnés. Côté "live", je vous invite à regarder le clip vidéo suivant, Justice - New Lands, qui date de 2012 et qui non seulement plaira aux amateurs de Cobra et du Rollerball (et quelques autres références), mais qui présente donc également un superbe plan final crayonné...


Harmony Cel - Cobra The Animation - Time Drive
Cobra the Animation - Time Drive
Harmony Cel - Justice - New Lands
Justice - New Lands



Conclusion

A titre personnel, les Harmony Cels font partie des plus beaux plans que l'on puisse avoir sur nos chères séries animées. Nombre de celluloïds classiques ne sont pas en reste, mais là, on s'approche de véritables peintures de maîtres avec des œuvres qui sont réalisées avec bien plus de soins et qui marquent le (télé)spectateur de façon plus durable. Certes, à la base, ces "peintures" ont été créées pour gagner du temps en animation : un Harmony Cel qui reste 3 secondes à l'écran, cela peut remplacer une 15aine ou une 20aine de cellulos en animation classique. Il n'y a du coup plus de travail d'animation à proprement parler, mais à la place, on gagne une illustration magnifique, et un effet sur la narration très marquant. Osamu Dezaki parlait de l'impression d'avoir une photo chargée de souvenirs, et cela résume bien ce que représente un Harmony Cel.



Harmony Cel - Hakugei Densetsu
Harmony cel de Hakugei Densetsu



Sources :
- Collection personnelle (Black Jack, Moby Dick, Très Cher Frère)
- Collections de LMA (Cobra) et Graza (Rémi, City Hunter)
- Autres sources personnelles


Commentaires

Nikko - 24 février 2024 21:04
C'est vrai, on rencontre encore aujourd'hui des Harmony Cells "héritiers" de la grande époque. Ils font plaisir, parfois aussi sourire. Mais un vrai Harmony de Dezaki / Sugino, il fait plus que ça. La photo est chargée des souvenirs que l'auteur y a mis, et elle s'enrichit aussi de notre propre mémoire puisqu'elle nous renvoie à une époque révolue. Une petite claque de nostalgie, en somme.





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